Silence, ça tourne!

Je ne pense pas donc je fuis

Réfléchir bien ou réfléchir mal, au fond l’essentiel n’est-il pas de réfléchir ?
Qu’est-ce qu’une société bien-pensante, sinon une bulle de vanités ? Une goutte de bonnes intentions dans un gouffre d’orgueil. Et lorsque notre pensée s’érode pour rejoindre les eaux plates de l’ignorance, lorsque des schémas de vie à entrées multiples ne se réduisent plus qu’à un couloir de la mort stérile, ne perdons-nous pas l’essentiel : notre liberté de penser et de réfléchir ? Pourquoi cette liberté que nous défendons avec tant de ferveur dans ses autres dimensions expressive, individuelle, circulatoire, religieuse, a-t-elle cessé d’exister sur un plan vital ? Nous nous sommes consciemment privé et détaché de ce qui constitue notre plus grande capacité d’être humain. L’auto-mutilation atteint son paroxysme lorsque le moi n’existe plus qu’à travers la pensée et la réflexion des autres. L’absence de douleur immédiate oblitère nos canaux de conscience. Dans cet état de quasi-conscience, nous acceptons d’être des « sachants » inactifs au service d’une toute puissance active : la pensée unique. Nous devenons alors les témoins silencieux et par-là les complices du choix de quelques cerveaux suffisamment motivés pour mettre leurs compétences en commun, dans une pensée synthétisée, affranchie de celle de milliards d’autres. En concédant sans condition l’espace de liberté de notre pensée et de notre réflexion, nous ne naissons plus pour être, mais pour paître. L’herbe des autres, les champs des autres. Nous devenons responsables de leurs récoltes. Les canaux de la pensée, ces tuyaux longs et lourds chargés d’idées, n’ont pas été conçus droits et unidirectionnels. Ils sont au contraire remarquables par leur complexité. Qu’advient-il de notre pensée lorsqu’elle s’effrite, se simplifie, s’uniformise? En la dirigeant tout droit, les bords nous protègent et nous rassurent. Le « borderline » est le pas à ne pas franchir. La pensée de trop. L’idée de trop. Le pas de trop, celui qui nous rapproche un peu plus de ce que nous sommes et nous permet le dialogue le plus conscient avec notre liberté. Or par les temps qui courent, il fait bon vivre sans risques, loin des limites de l’esprit. Il fait bon ne pas se frotter à la minorité pensante et courir le risque de l’offenser. Et tant pis si nos oeillères de ciment appauvrissent nos sens. Tant pis si elles réduisent considérablement notre champ de vision, nos cultures. Le champ des possibles, ce vaste territoire surexploité par la société bien-pensante.

Alors il ne faut plus nous plaindre ou accepter d’emprunter les chemins de réflexion les plus sinueux et les plus tortueux. Impasses, obstacles et murs sont des régénérateurs d’idées. Ils sont les conservateurs du musée de la pensée et de ses tournoiements. Plutôt que de ses atermoiements.

© Mia Sfeir

Ce contenu a été publié dans Uncategorized, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

9 réponses à Silence, ça tourne!

  1. Laurent dit :

    Les explosions vous réussissent très chère, elles enflamment vos pensées et vos écrits :) Bravo !

  2. Léa Sfeir dit :

    Trop puissant Mia comme toujours. J’espère que les gens (surtout les libanais) qui liront vont en comprendre le sens et la réflexion. C’est un texte assez élitiste. J’adore. Bravo!

  3. Abdo dit :

    Excellente!! N’arrete pas de reflechir et d’ecrire, ca inspire

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *