Souvenez-vous…

Souvenez-vous de la guerre. Nous étions tous planqués dans les abris souterrains (luxe), cages d’ascenseurs (standard plus), cages d’escaliers (standard), entre deux murs dans la chambre supposée être la plus safe de l’appartement (P(Vie)=1/100).

Souvenez-vous de l’humidité qui régnait dans les parkings transformés en dortoirs, et du casse-tête qui consistait à essayer de caser 5 membres d’une même famille dans un espace qui pouvait en contenir tout au plus 2.

Souvenez-vous des musiques poignantes de Majida El Roumy, de cet état paradoxal dans lequel elle nous plongeait en chantant « Ya Beyrouuuuuuuuuth ». Elle parvenait à nous faire avaler que même sous les bombes, avec des chars stationnés en bas de chez nous, sans électricité, sans eau, sans bouffe, avec des câbles qui pendent dans tous les sens, des communautés qui s’entretuent, des immeubles criblés de balles, des kidnappings à gogo, la queue aux stations services…on habitait la plus belle ville du monde, une ville-exemple, la « set el douniya ». Merci Majida de m’avoir appris ce qu’était le patriotisme et de m’avoir aidé dans mon travail – et devoir – de mémoire, durant mes années d’exil à Paris. Et sache, même si tu t’en fous, que je ne t’en veux pas d’avoir toi aussi cédé au bistouri, parce que c’est finalement conforme à ta démarche : aimer le Liban, vivre le Liban, ressentir le Liban, pour le meilleur et pour le pire. Je n’ai finalement pas besoin de te reconnaître pour t’être reconnaissante.

Souvenez-vous des parties de cartes et de tric-trac à la lueur des bougies. Pendant que le monde nous plaignait et que la France inventait l’expression « C’est Beyrouth ici! « pour désigner une situation de chaos total, nous étions étrangement – et dans une tranquillité déconcertante – préoccupés à parfaire notre technique de mélange de cartes ou de jet de dé.

Enfin, on y arrive, souvenez-vous de l’autre jeu de hasard (terme qui vient d’ailleurs d’une traduction française du mot dé « Al-Zaher »), le jeu des « arrivées-départs ». La règle en était simple, il s’agissait de deviner si l’obus se dirigeait droit vers nous (arrivée) ou s’il décollait de chez nous (départ) pour atteindre les cibles « ennemies ». Ennemies signifiant « pas géographiquement situées au même endroit que nous ». Souvenez-vous de ces moments passés à tenter d’identifier la destination et l’origine des projectiles.

Et là vous vous dites, pourquoi cette résurgence de vieux souvenirs de guerre après un été de folie passé à faire la fête ?

Eh bien parce qu’arrivées et départs. Parce que départs et arrivées. Et cette question : sommes-nous des projectiles ?

© Mia Sfeir

Et qui est donc cet homme ?

Ce contenu a été publié dans Uncategorized, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

3 réponses à Souvenez-vous…

  1. Laurent dit :

    Hier soir – avant de lire cet article – nous dissertions entre amis à Florence (où je réside pour deux mois) de l’étymologie du mot hasard !! Et nous perfectionnions notre prononciation du mot Al-Zahr.
    La vie est belle.

  2. Anissa dit :

    Je suis tombée par hasard sur ton blog, tu as une vraie plume, au plaisir de te lire.
    Anissa

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *